Article original le 24 mai 2021

Sauver l’unité nationale : travailler au gouvernement à une époque où l’accent était mis sur le maintien du Québec dans la fédération était à la fois exaltant et épuisant, écrit Michael Wernick.

Lettre d'Ottawa : En 1995, un référendum a vu le Québec être sur le point de se séparer du Canada. Michael Wernick, ancien greffier du Conseil privé, revient sur ce qu'était la vie au gouvernement à cette époque et trouve des parallèles dans une lutte contemporaine de l'autre côté de l'Atlantique

Il est sans doute étrange que les Canadiens associent l'arrivée du beau temps à un autre rite réconfortant du printemps : la fin de la saison de hockey sur glace. Au cours des deux prochains mois, le public de base de ce sport sera rejoint par des millions de fans de beau temps qui ne se présentent que pour la Coupe Stanley et les matchs internationaux importants.

Une innovation liée à la pandémie, conçue pour minimiser les déplacements à travers la frontière canado-américaine, a offert un rare régal aux fans canadiens : deux rondes éliminatoires exclusivement entre équipes basées au Canada. Le premier match de la série a vu Montréal, la plus grande ville du Québec, remporter la victoire contre Toronto.

Si cette rivalité risque de rouvrir les plaies du mouvement indépendantiste des années 1980 et 1990 au Québec, ces confrontations sur la glace n'auront rien à voir avec les connotations politiques d'un prochain match de football à Londres. Alors que l'indépendance de l'Écosse fait l'objet de nouvelles discussions, l'Angleterre et l'Écosse s'affrontent en juin lors de l'Euro 2020, retardé par la pandémie.

La plupart des Canadiens sont préoccupés par la sortie de la pandémie et ont probablement à peine remarqué les récentes élections écossaises. Mais l’intérêt va croître non seulement parce que la Grande-Bretagne est un partenaire contemporain dans de nombreux forums, mais aussi parce qu’elle a été notre dernière puissance coloniale et une source d’immigration.

Les liens affectifs entre l’Angleterre et l’Écosse au Canada sont complexes et divisés. Plus de six millions de Canadiens ont des racines anglaises et près de cinq millions écossaises. Les récits des Highland Clearances parcourent de nombreux arbres généalogiques, tandis que les noms écossais parsèment notre paysage et nos livres d’histoire.

Pour les Canadiens de ma génération, la perspective de l’indépendance de l’Écosse évoque de nombreux souvenirs de notre propre période d’anxiété face à l’unité nationale. Pendant trois décennies, la fédération canadienne a lutté pour sa survie, dominée par le schisme entre les Québécois qui voyaient un avenir meilleur dans un nouvel État-nation et ceux qui voulaient rester au sein de la fédération canadienne.

L'histoire récente du séparatisme

Alors que la première vague de séparatisme atteignait son apogée au Canada en mai 1980, le mouvement d’unité, dirigé par le premier ministre Pierre Trudeau, promettait une profonde réforme structurelle – tout comme l’avait fait le premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, en 2014. Trudeau a arraché le contrôle de la constitution canadienne au parlement britannique et y a ajouté une Charte des droits et libertés en 1982. Mais il n’a pas réussi à obtenir un accord avec le gouvernement séparatiste du Québec.

Le successeur de Trudeau, le Québécois Brian Mulroney, a tenté de mettre un terme à cette situation à deux reprises : une première fois en 1987 avec une réforme constitutionnelle spécifique, puis une seconde fois en 1992 avec une réforme constitutionnelle plus complète.

Ce double échec a conduit à l'élection d'un gouvernement séparatiste au Québec en 1994. Et une deuxième vague de séparatisme a frôlé dangereusement le désastre : lors d'un référendum tenu en octobre 1995, la sécession a été rejetée par une marge de 54 000 voix sur 4,8 millions (sur une participation de 93,5%).

Au cœur de l'attention portée par le gouvernement à l'unité nationale

Pour un fonctionnaire de ma génération, le récit de la réforme constitutionnelle et des référendums rappelle une longue époque où « l’unité nationale » était au centre de l’attention et des carrières. Travailler au sein des divers comités spéciaux du Cabinet ou des comités de politique et de communication consacrés à « l’unité canadienne » ou aux « relations intergouvernementales » était une étape essentielle pour la plupart des « hauts fonctionnaires ».

Je me souviens d’une atmosphère de camaraderie, d’un travail presque entièrement en français et d’un sens extraordinaire de la détermination et de l’urgence de sauver la fédération. Cette expérience commune a forgé des liens professionnels et personnels qui ont perduré pendant de nombreuses années. Au cours de mes presque quatre décennies au sein de la fonction publique canadienne, aucune période n’a été aussi passionnante, exaltante et épuisante que celle de 1995.

Pour les Québécois qui sympathisaient avec les deux camps dans ce débat déchirant et qui travaillaient pour l’État fédéral, ce furent des temps difficiles, surtout pour mes collègues des ateliers de l’unité nationale. La plupart d’entre eux avaient des membres de leur famille ou des amis qui avaient des opinions contraires. Une grande partie des médias, du milieu universitaire et de l’élite culturelle du Québec étaient séparatistes. Et même si c’était bien avant l’apparition des trolls sur les réseaux sociaux, les deux camps étaient durs envers leurs adversaires.

Langue de la réconciliation

Un quart de siècle plus tard, les passions se sont apaisées et la menace semble s’éloigner. Les séparatistes ont brièvement repris le pouvoir en 2012, mais seulement en promettant de ne pas organiser de nouveau référendum. Leur mouvement a sombré dans les luttes intestines et a chuté dans les sondages, attirant désormais principalement les baby-boomers.

Il existe plusieurs théories pour expliquer ce phénomène. Il ne peut s'agir d'une réforme constitutionnelle, car elle n'a jamais eu lieu, et cette voie semble bloquée dans un avenir proche. Il ne peut pas non plus s'agir d'une augmentation des coûts économiques de la sécession : les séparatistes québécois rassurent les électeurs en leur disant que le Québec adhérerait à tous les accords de libre-échange du Canada et utiliserait la monnaie canadienne.

La raison semble être que l’élément émotionnel qui a motivé le séparatisme – la peur de perdre la langue et la culture françaises – s’est estompé au cours des trois dernières décennies. En 1977, la loi 101 a introduit un vaste ensemble de mesures visant à protéger la langue française. Bien que controversée à l’époque, elle semble rétrospectivement avoir immunisé le Québec contre un nationalisme virulent et insulaire.

Un avenir unifié

Le Québec s’apprête toutefois à se lancer dans un nouveau débat risqué sur les politiques linguistiques. Le gouvernement provincial, légèrement nationaliste mais pas séparatiste, a déposé une série de mesures qui équivalent à une mise à jour complète de la loi 101, conçue pour la durcir pour les années 2020 et pour y inscrire une partie du langage constitutionnel concernant le Québec.

Pour certains, cela va rouvrir de vieilles cicatrices ou attiser les émotions. Je me trompe peut-être, mais je parie qu'il n'y aura pas de troisième vague de crise de l'unité nationale cette fois-ci. Les cohortes de jeunes Québécois sont plus multiraciales, multiculturelles et tournées vers le monde. Ils ne partagent pas le sentiment d'inquiétude ou de doléance de leurs parents.

Contrairement à leurs collègues de Londres et d’Édimbourg, les jeunes fonctionnaires du Canada ne verront pas leur carrière ou leur programme entravés par l’unité nationale. Les meilleurs et les plus brillants pourront se concentrer sur les défis de notre époque, notamment le climat, la réconciliation avec les peuples autochtones et la reconstruction après la pandémie.

Et nous pourrons tous profiter en toute quiétude de la bataille entre Toronto et Montréal sur la glace. Célébrer une victoire en coupe en juillet serait la preuve ultime que nous vivons une époque étrange. De même, espérons-le, lorsque nous regarderons le match de football à Wembley, nous nous souviendrons tous qu’il s’agit simplement d’un match, et non d’une reconstitution de Bannockburn.

Article original le 24 mai 2021

Sauver l’unité nationale : travailler au gouvernement à une époque où l’accent était mis sur le maintien du Québec dans la fédération était à la fois exaltant et épuisant, écrit Michael Wernick.

Lettre d'Ottawa : En 1995, un référendum a vu le Québec être sur le point de se séparer du Canada. Michael Wernick, ancien greffier du Conseil privé, revient sur ce qu'était la vie au gouvernement à cette époque et trouve des parallèles dans une lutte contemporaine de l'autre côté de l'Atlantique

Il est sans doute étrange que les Canadiens associent l'arrivée du beau temps à un autre rite réconfortant du printemps : la fin de la saison de hockey sur glace. Au cours des deux prochains mois, le public de base de ce sport sera rejoint par des millions de fans de beau temps qui ne se présentent que pour la Coupe Stanley et les matchs internationaux importants.

Une innovation liée à la pandémie, conçue pour minimiser les déplacements à travers la frontière canado-américaine, a offert un rare régal aux fans canadiens : deux rondes éliminatoires exclusivement entre équipes basées au Canada. Le premier match de la série a vu Montréal, la plus grande ville du Québec, remporter la victoire contre Toronto.

Si cette rivalité risque de rouvrir les plaies du mouvement indépendantiste des années 1980 et 1990 au Québec, ces confrontations sur la glace n'auront rien à voir avec les connotations politiques d'un prochain match de football à Londres. Alors que l'indépendance de l'Écosse fait l'objet de nouvelles discussions, l'Angleterre et l'Écosse s'affrontent en juin lors de l'Euro 2020, retardé par la pandémie.

La plupart des Canadiens sont préoccupés par la sortie de la pandémie et ont probablement à peine remarqué les récentes élections écossaises. Mais l’intérêt va croître non seulement parce que la Grande-Bretagne est un partenaire contemporain dans de nombreux forums, mais aussi parce qu’elle a été notre dernière puissance coloniale et une source d’immigration.

Les liens affectifs entre l’Angleterre et l’Écosse au Canada sont complexes et divisés. Plus de six millions de Canadiens ont des racines anglaises et près de cinq millions écossaises. Les récits des Highland Clearances parcourent de nombreux arbres généalogiques, tandis que les noms écossais parsèment notre paysage et nos livres d’histoire.

Pour les Canadiens de ma génération, la perspective de l’indépendance de l’Écosse évoque de nombreux souvenirs de notre propre période d’anxiété face à l’unité nationale. Pendant trois décennies, la fédération canadienne a lutté pour sa survie, dominée par le schisme entre les Québécois qui voyaient un avenir meilleur dans un nouvel État-nation et ceux qui voulaient rester au sein de la fédération canadienne.

L'histoire récente du séparatisme

Alors que la première vague de séparatisme atteignait son apogée au Canada en mai 1980, le mouvement d’unité, dirigé par le premier ministre Pierre Trudeau, promettait une profonde réforme structurelle – tout comme l’avait fait le premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, en 2014. Trudeau a arraché le contrôle de la constitution canadienne au parlement britannique et y a ajouté une Charte des droits et libertés en 1982. Mais il n’a pas réussi à obtenir un accord avec le gouvernement séparatiste du Québec.

Le successeur de Trudeau, le Québécois Brian Mulroney, a tenté de mettre un terme à cette situation à deux reprises : une première fois en 1987 avec une réforme constitutionnelle spécifique, puis une seconde fois en 1992 avec une réforme constitutionnelle plus complète.

Ce double échec a conduit à l'élection d'un gouvernement séparatiste au Québec en 1994. Et une deuxième vague de séparatisme a frôlé dangereusement le désastre : lors d'un référendum tenu en octobre 1995, la sécession a été rejetée par une marge de 54 000 voix sur 4,8 millions (sur une participation de 93,5%).

Au cœur de l'attention portée par le gouvernement à l'unité nationale

Pour un fonctionnaire de ma génération, le récit de la réforme constitutionnelle et des référendums rappelle une longue époque où « l’unité nationale » était au centre de l’attention et des carrières. Travailler au sein des divers comités spéciaux du Cabinet ou des comités de politique et de communication consacrés à « l’unité canadienne » ou aux « relations intergouvernementales » était une étape essentielle pour la plupart des « hauts fonctionnaires ».

Je me souviens d’une atmosphère de camaraderie, d’un travail presque entièrement en français et d’un sens extraordinaire de la détermination et de l’urgence de sauver la fédération. Cette expérience commune a forgé des liens professionnels et personnels qui ont perduré pendant de nombreuses années. Au cours de mes presque quatre décennies au sein de la fonction publique canadienne, aucune période n’a été aussi passionnante, exaltante et épuisante que celle de 1995.

Pour les Québécois qui sympathisaient avec les deux camps dans ce débat déchirant et qui travaillaient pour l’État fédéral, ce furent des temps difficiles, surtout pour mes collègues des ateliers de l’unité nationale. La plupart d’entre eux avaient des membres de leur famille ou des amis qui avaient des opinions contraires. Une grande partie des médias, du milieu universitaire et de l’élite culturelle du Québec étaient séparatistes. Et même si c’était bien avant l’apparition des trolls sur les réseaux sociaux, les deux camps étaient durs envers leurs adversaires.

Langue de la réconciliation

Un quart de siècle plus tard, les passions se sont apaisées et la menace semble s’éloigner. Les séparatistes ont brièvement repris le pouvoir en 2012, mais seulement en promettant de ne pas organiser de nouveau référendum. Leur mouvement a sombré dans les luttes intestines et a chuté dans les sondages, attirant désormais principalement les baby-boomers.

Il existe plusieurs théories pour expliquer ce phénomène. Il ne peut s'agir d'une réforme constitutionnelle, car elle n'a jamais eu lieu, et cette voie semble bloquée dans un avenir proche. Il ne peut pas non plus s'agir d'une augmentation des coûts économiques de la sécession : les séparatistes québécois rassurent les électeurs en leur disant que le Québec adhérerait à tous les accords de libre-échange du Canada et utiliserait la monnaie canadienne.

La raison semble être que l’élément émotionnel qui a motivé le séparatisme – la peur de perdre la langue et la culture françaises – s’est estompé au cours des trois dernières décennies. En 1977, la loi 101 a introduit un vaste ensemble de mesures visant à protéger la langue française. Bien que controversée à l’époque, elle semble rétrospectivement avoir immunisé le Québec contre un nationalisme virulent et insulaire.

Un avenir unifié

Le Québec s’apprête toutefois à se lancer dans un nouveau débat risqué sur les politiques linguistiques. Le gouvernement provincial, légèrement nationaliste mais pas séparatiste, a déposé une série de mesures qui équivalent à une mise à jour complète de la loi 101, conçue pour la durcir pour les années 2020 et pour y inscrire une partie du langage constitutionnel concernant le Québec.

Pour certains, cela va rouvrir de vieilles cicatrices ou attiser les émotions. Je me trompe peut-être, mais je parie qu'il n'y aura pas de troisième vague de crise de l'unité nationale cette fois-ci. Les cohortes de jeunes Québécois sont plus multiraciales, multiculturelles et tournées vers le monde. Ils ne partagent pas le sentiment d'inquiétude ou de doléance de leurs parents.

Contrairement à leurs collègues de Londres et d’Édimbourg, les jeunes fonctionnaires du Canada ne verront pas leur carrière ou leur programme entravés par l’unité nationale. Les meilleurs et les plus brillants pourront se concentrer sur les défis de notre époque, notamment le climat, la réconciliation avec les peuples autochtones et la reconstruction après la pandémie.

Et nous pourrons tous profiter en toute quiétude de la bataille entre Toronto et Montréal sur la glace. Célébrer une victoire en coupe en juillet serait la preuve ultime que nous vivons une époque étrange. De même, espérons-le, lorsque nous regarderons le match de football à Wembley, nous nous souviendrons tous qu’il s’agit simplement d’un match, et non d’une reconstitution de Bannockburn.