Article original le 16 avril 2021
Une lettre d'Ottawa : L'engagement de l'État envers les langues française et anglaise se heurte aux espoirs d'une plus grande inclusion, écrit Michael Wernick, ancien greffier du Conseil privé. Mais il y a de l'espoir que la technologie puisse faciliter la progression
À la mi-avril, l’attention du Canada est pleinement captée par la course pour endiguer une troisième vague alarmante de la pandémie de COVID-19, alimentée par des variants, grâce à la vaccination et à un nouveau recours aux mesures de confinement dites « d’urgence ». La course sera serrée.
Parallèlement, la semaine prochaine, le gouvernement minoritaire du premier ministre Justin Trudeau déposera le premier véritable budget depuis le début de la pandémie et une série de manœuvres indécises s'ensuivra autour des votes de confiance qui en résulteront à la Chambre.
Compte tenu de la situation actuelle, il est compréhensible que l’on accorde moins d’attention aux tensions croissantes autour de la définition de ce que signifie « l’inclusion » au Canada dans les années 2020, qui forceront le gouvernement à faire des choix difficiles. L’engagement envers le bilinguisme – l’égalité des langues anglaise et française dans l’État fédéral – se heurte aux aspirations à une plus grande inclusion des peuples autochtones et des autres minorités raciales.
L'année des défis
L'année 2020 a été celle où le Canada, comme tant d'autres sociétés, a été confronté à des problèmes liés au racisme systémique dans notre histoire troublée et dans notre société contemporaine. Le mouvement Black Lives Matter s'est joint à une conversation antérieure sur la réconciliation avec les peuples autochtones, qui représentent environ 41 % de la population canadienne.
Ce débat embarrassant s’est intensifié en 2015, lorsque le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation a été publié. Dans les années qui ont suivi, le débat national a été alimenté par une série d’incidents troublants concernant les services de police et les soins de santé, ainsi que par un débat sur les limites du « consentement » autochtone aux projets d’exploitation des ressources. Le débat s’est intensifié lorsque la pandémie a atteint nos côtes.
Cette année, le Canada a également dû faire face à des problèmes de racisme auxquels sont confrontées les « minorités visibles », qui représentent environ un quart de la population canadienne (soit la moitié des habitants de Toronto, la plus grande ville du pays). Les gouvernements et les institutions publiques ont lancé une vaste gamme d’initiatives et d’auto-évaluations contre le racisme, en réponse à une nouvelle vague d’activisme communautaire et, dans certains cas, à des contestations judiciaires.
Des visions multiples pour l’inclusion
Le Canada a tenté de défendre simultanément plusieurs visions de l'inclusion. Il s'est formellement engagé dans ses documents constitutionnels à promouvoir l'égalité des sexes, la dualité linguistique, la reconnaissance et l'affirmation des droits des autochtones et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Il dispose d'un réseau de lois et d'institutions qui assurent la protection des droits de la personne, des politiques et pratiques en matière de langues officielles et de « l'équité en matière d'emploi ». Dans la pratique, il n'est pas toujours facile de concilier les forces vives des différentes parties de ce système.
Aujourd’hui, on s’intéresse de plus en plus à deux postes au sommet de l’État fédéral : celui de gouverneur général et celui de l’un des neuf juges de la Cour suprême. Il était autrefois de tradition qu’une maîtrise passable de l’anglais et du français était une qualification essentielle (comme c’est le cas pour être un sérieux candidat au poste de Premier ministre). En effet, environ 401 postes dans la fonction publique fédérale exigent des compétences bilingues, principalement pour ceux qui fournissent des services de première ligne et presque tous les postes « exécutifs » avec des rôles de supervision.
Il y a une bonne raison à cela. Depuis des décennies, le mouvement séparatiste au Québec soutient que la seule façon pour la langue française de s’épanouir en Amérique du Nord est de créer un État-nation distinct. L’un des meilleurs contre-arguments est de créer un gouvernement fédéral dans lequel les Canadiens francophones se reconnaissent dans les services qu’ils reçoivent, dans les carrières qu’ils poursuivent et dans un leadership visible. Quiconque pense que le bilinguisme est un « plus » au sommet des institutions fédérales devrait participer à l’émission de discussion très populaire du dimanche soir Tout Le Monde En Parle, mettre cet argument en pratique – de préférence en français – et voir ce qu’il va donner.
L'intersection entre la politique linguistique et d'autres dimensions de l'inclusion se joue depuis longtemps au sein de la fonction publique fédérale canadienne. Le service bilingue et la haute direction bilingues ont été controversés lors de leur introduction en 1969, mais ont été établis comme politique il y a des décennies. La législation et les politiques administratives ont été mises à jour et modifiées de temps à autre et leur mise en œuvre comporte de nombreuses nuances.
Le nouveau langage de l’inclusion
Aujourd’hui, une objection plus sérieuse est soulevée à l’égard de l’exigence d’une deuxième langue. Certains soutiennent que l’insistance sur le bilinguisme a créé une forme de racisme systémique, ou du moins un sérieux obstacle à l’avancement.
Les nominations au poste de gouverneur général et à la Cour suprême pourraient devenir un test décisif pour le gouvernement. Des pressions sont exercées pour trouver un candidat autochtone ou « de couleur » pour ces postes, peu importe ses compétences en langue seconde. Le gouvernement n’a pas encore dévoilé son intention de nommer un gouverneur général, mais il a clairement indiqué qu’il ne renoncerait pas au bilinguisme à la Cour suprême.
Il est difficile de savoir comment la politique linguistique s’inscrit dans le mouvement d’inclusion plus large. Par exemple, il existe des communautés noires au Canada qui parlent français. Mais il est clair que le problème n’est plus celui de la langue de service, car la grande majorité des services transactionnels sont passés au Web et aux téléphones intelligents, aux salles de clavardage et aux centres d’appels. Il s’agit désormais de la langue de travail.
L’un des sujets qui se pose est celui de la question de savoir ce qui se passera à mesure que les gens travailleront davantage à domicile et passeront aux plateformes de collaboration en ligne (comme ce fut le cas en 2020). J’ai entendu des grognements selon lesquels l’anglais supplante l’utilisation du français, en particulier dans les réunions vidéo.
Solution innovante
Les gouvernements seront réticents à aborder ces questions. Ils ne veulent pas se retrouver face à des choix trop simplistes ou donner de l'oxygène à ceux qui voudraient nous diviser. Je pense qu'il nous faudra bientôt réécrire la législation désuète sur l'équité en matière d'emploi et retirer honorablement le terme « minorité visible »Cela nous permettrait de travailler avec un langage plus précis qui nous permettrait de cibler les défis spécifiques auxquels sont confrontées les communautés.
Nous devons renouveler certaines pratiques de longue date en matière de langue de travail, mais nous devrons procéder avec prudence. Il y aura beaucoup de résistance et il n’y aura pas de voie évidente vers un consensus. Les médias sociaux vont attiser les passions et les divisions. Nous avons déjà réussi à gérer ces débats difficiles par le passé. Mais la route qui nous attend risque d’être semée d’embûches.
Les avancées technologiques en matière de traduction et d’interprétation instantanées, les outils d’enseignement des langues en ligne et les outils de travail améliorés pour les personnes handicapées, dans le cadre d’un programme de changement plus vaste, pourraient ouvrir une voie prometteuse. Les années 2020 pourraient être le point de rencontre de l’innovation et de l’inclusion.